Là, je vais trop vite. L'âge étant quelque chose de relatif, la foudre sénile ne s'abat pas sur tout le monde le même jour et au même âge.
Toujours est-il que si vous avez ouvert les yeux entre la fin de la guerre et l’avènement du Général De Gaulle, vous faites partie de ceux que ce propos concerne.
Il n’est nullement question d’un discours éducatif ou moralisateur mais d’une réflexion partagée et ouverte sur les années qui se sont écoulées depuis votre premier cri jusqu’à ce jour.
Par fin de guerre, j’entends la seconde (pour ne pas dire deuxième) parce qu’il me semble que ceux qui ont connu les années folles sont encore d’un autre temps.
Pour ma part, on m’a tellement répété que « si j’avais connu la guerre…. » que j’en ai été saoulé avant même d’avoir envisagé de compatir.
D’autant que mes ancêtres semblent avoir été de farouches ennemis de l’envahisseur. Que, ce faisant, ils rejoignent a priori la quasi-totalité de leurs congénères survivants et qu’il y a lieu de se demander avec raison qui a bien pu faire tourner le pays quand il était sous administration étrangère.
C’est la raison pour laquelle, je n’inclus pas dans cette communauté ceux qui ont été « de la première heure » mais ceux qui sont arrivés après la bataille autrement dit, après la fermeture. Normalement, je devrais éviter les « ronchons ».
Tout ça pour dire que je n’ai aucun souvenir du Président Auriol (sous lequel je suis né) et qu’il doit en être ainsi pour beaucoup d’entre nous.
J’ai dit « sous lequel » parce que ça se dit encore, que mes enfants, paraît-il, sont nés sous Giscard et Mitterrand et qu’on continue à naître « sous ».
Ou c’est une référence à la royauté, ou c’est une évocation de la louve romaine ou c’est le prestige du veau élevé sous la mère ou c’est n’importe quoi.
Ou vous le savez et dites le vite pour ne pas laisser vivre les autres dans l’obscurantisme.
Auriol, c’était pour vous situer l’époque.
Aux dires de ceux qui avaient déjà le cerveau actif à cette époque, les hivers étaient froids (beaucoup plus froids), les étés étaient chauds (pas beaucoup plus chauds), les printemps étaient fleuris et les champignons poussaient à l’automne (beaucoup plus de champignons).
En gros, c’était bizarrement beaucoup plus dur mais beaucoup mieux quand même, ce qui dénote une espèce de masochisme héroïque largement répandu.
Personnellement, je ne vous parlerai pas des turpitudes saisonnières de mes premières années, pas plus que de celles qui ont suivi.
Je suis, comme vous, dans l’attente craintive de ce réchauffement climatique qui doit amener des rhinocéros dans mon jardin et qui dévaste systématiquement une partie de la planète où je n’ai jamais mis les pieds et où je n’envisage pas un seul instant de les mettre.
Honnêtement, ça vous est déjà passé par la tête de prendre vos congés sur un morceau de banquise isolée et, qui plus est, de convoquer la presse ?
Donc, j’attends dans l’ignorance avec cette résignation qui vient quand on compte bien échapper au désastre, résignation que les années qui passent font presque passer pour de la sagesse.
Et non, je n’ai pas l’âme mobilisatrice, je n’ai pas l’indignation guerrière qui serait susceptible de me faire descendre dans la rue pour sauver l’ours ou le phoque ni même la peau de zibeline dont je n’ai jamais su distinguer la vraie de la fausse. Idem pour les ours et les phoques d’ailleurs.
Il y des méchancetés qui m’ont échappé et je vous jure n’avoir jamais mangé ou porté sur moi de l’ours ou du phoque. Toujours est-il que je n’ai pas entrevu l’ombre d’une corne de rhinocéros au milieu de mes hortensias.
Mais nous sommes quand même dans un registre totalement nouveau et je n’ai pas souvenir d’avoir entendu parler d’être réchauffé au cours de mes jeunes années.
Je me trompe peut-être, mais nous avons tous en commun, d’avoir évité d’être cuits dès l’enfance.
Je vous retrouve plus tard…